par Gérard Cornilleau
Les trajectoires démographiques divergentes entre l’Allemagne et la France auront des conséquences majeures et différenciées sur les dépenses sociales, les marchés du travail, les capacités productives et la viabilité des dettes publiques. Ils expliquent en particulier les craintes des Allemands face à la hausse de leur propre dette. Les différences démographiques nécessiteront la mise en œuvre de politiques publiques hétérogènes des deux côtés du Rhin. La solution « taille unique » n’est pas encore pour demain.
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Les trajectoires démographiques de la France et de l’Allemagne sont le produit des guerres et de l’histoire européennes. La superposition des pyramides des âges (Figure 1) est instructive à cet égard : en Allemagne, les générations les plus nombreuses sont celles qui sont nées pendant la période nazie, jusqu’en 1946 ; puis viennent les générations nées au milieu des années soixante (enfants de générations nées pendant le nazisme). En France, les générations des années trente sont, à l’inverse, peu nombreuses. Par conséquent, le baby-boom, qui, comme on peut facilement le comprendre, commence avant celui de l’Allemagne (dès 1945, lorsque l’on observe un accident de bébé en Allemagne qui ne se terminera pas avant le début des années cinquante ; le baby-boom allemand culminant à la fin des années 1960) est d’une ampleur limitée parce que les générations d’âge pour avoir il y a peu d’enfants. En revanche, le ralentissement du taux de natalité est beaucoup plus faible en France après la crise des années 1970 et surtout la fécondité a de nouveau augmenté depuis le début des années 1990. À tel point qu’avec un taux de fécondité qui reste proche de 2 enfants par femme en âge de procréer, la taille des générations est pratiquement constante de 1947 à aujourd’hui. En Allemagne, la réunification entraîne un effondrement de la fécondité dans l’ancienne RDA, qui a convergé vers le taux occidental au milieu des années 2000 (graphique 2). Dans l’ensemble, depuis la guerre, la fécondité française est toujours restée supérieure à la fécondité allemande et depuis le début des années 2000, l’écart s’est creusé. À tel point que le nombre de naissances en France aujourd’hui dépasse de loin celui observé en Allemagne : en 2011, 828 000 contre 678 000, soit 22 % de naissances en plus en France.
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D’un point de vue démographique, la France et l’Allemagne se trouvent donc dans des situations radicalement différentes. Si la France a pu maintenir un taux de fécondité satisfaisant, ce qui est pratiquement suffisant pour garantir la stabilité à long terme de la population, le taux de natalité allemand entraînera une baisse rapide et significative de la population et un vieillissement nettement plus élevé. prononcé qu’en France (graphiques 3 et 4)
Selon les projections démographiques adoptées par la Commission européenne, l’Allemagne devrait perdre plus de 15 millions d’habitants d’ici 2060 et la France en gagnera un peu moins de 9. D’ici 2045, les deux pays devraient avoir des populations identiques (un peu moins de 73 millions d’habitants) et en 2060, la France aurait environ 7 millions d’habitants de plus que l’Allemagne (73 millions contre 66).
Dans les deux pays, la migration contribue à la croissance démographique, mais de manière modérée. Le solde migratoire a été faible en Allemagne au cours de la période la plus récente, avec un taux de 1,87 pour mille entre 2000 et 2005 et 1,34 pour mille entre 2005 et 2010, contre 2,55 pour mille et 1,62 pour mille respectivement en France. La Commission européenne maintient des taux migratoires nets proches pour la France et l’Allemagne pour l’avenir, contribuant d’ici 2060 à une augmentation de la population de l’ordre de 6 % dans chaque pays. Les Nations Unies envisagent une hypothèse similaire, la contribution de la migration diminuant dans tous les pays en raison du ralentissement général des migrations internationales dû à la hausse des revenus dans les pays d’origine. Dans ce contexte, l’Allemagne ne semble pas disposer d’un important bassin de main-d’œuvre extérieure, bien qu’elle ait peu de liens historiques avec les principales zones d’émigration.
L’inversion des poids démographiques semble donc inévitable et s’accompagnera d’une divergence dans l’âge moyen des population, l’Allemagne étant nettement plus âgée que la France (Figure 4). En 2060, la proportion de personnes de plus de 65 ans atteindra près d’un tiers de la population en Allemagne, contre un peu moins de 27 % en France.
En conséquence, et compte tenu des réformes entreprises dans les deux pays, la part des dépenses publiques dans les retraites dans le PIB augmenterait peu en France et beaucoup en Allemagne. Selon les travaux de la Commission européenne (op. cit.), il augmenterait en France, entre 2010 et 2060, de 14,6 à 15,1 %, soit une hausse de 0,5 point, tandis qu’il augmenterait de 2,6 points en Allemagne, passant de 10,8 à 13,4 % du PIB. Et ce malgré le fait que la réforme allemande du système de retraite prévoit un report de l’âge de la retraite à 67 ans et la réforme française un report à 62 ans seulement.
La démographie a également des conséquences sur les marchés du travail, qui seront soumis à différentes contraintes. Entre 2000 et 2011, les populations actives françaises et allemandes a augmenté du même ordre de grandeur — 7,1 % en Allemagne et 10,2 % en France — mais alors qu’en Allemagne, les deux tiers de cette augmentation sont le résultat de ceux des taux d’activité, en France, les données démographiques expliquent 85 %. Dans un proche avenir, l’Allemagne aura de la difficulté à augmenter encore ses taux de participation. Sa politique familiale comprend désormais des dispositions, telles que le congé parental, visant à encourager le travail des femmes grâce à un meilleur équilibre entre le travail et la vie familiale, mais les taux d’activité des femmes sont déjà élevés et le problème concerne davantage l’augmentation de la fécondité que l’offre de travail. La France, qui part d’un niveau d’activité plus faible, principalement en raison du fait que les personnes âgées quittent le marché du travail beaucoup plus tôt qu’en Allemagne, possède des réserves à la hausse plus importantes. Ces dernières années, la disparition de la retraite anticipée et l’allongement des heures de travail nécessaires pour obtenir une pension à taux plein ont commencé à produire leurs effets, et le taux d’emploi des personnes âgées a fortement augmenté, même pendant la crise. Dans le même temps, l’emploi des seniors augmente également en Allemagne, mais il ne pourra pas augmenter de manière significative indéfiniment, et l’hypothèse d’une convergence à long terme des taux d’emploi entre la France et l’Allemagne est très probable. Au total, selon les projections de la Commission européenne, le taux de participation allemand pourrait augmenter de 1,7 point entre 2010 et 2020 (de 76,7 à 78,4 %) alors que le taux français augmenterait de 2,7 points (de 70,4 à 73,1 %). D’ici 2060, le taux d’activité français augmenterait deux fois plus que le taux allemand ( 4,2 points contre 2,2). Mais le taux français serait toujours inférieur au taux allemand (74,7 contre 78,9) de sorte que la France aurait toujours une réserve à la hausse.
La conséquence de cette divergence démographique entre les deux pays est lourde en termes de potentiel de croissance à moyen et long terme. Toujours selon les projections de la Commission européenne (qui repose sur l’hypothèse d’une convergence du travail) productivité en Europe autour d’un taux de croissance annuel de 1,5 %), la croissance potentielle française sera le double de la croissance potentielle en Allemagne à long terme : 1,7 % par an d’ici 2060 contre 0,8. L’écart resterait relativement faible jusqu’en 2015 (1,4 en France et 1,1 en Allemagne) mais ensuite il se creuser rapidement : 1,9 en France en 2020, contre 1 en Allemagne.
En conséquence, en ce qui concerne la population, la hiérarchie du PIB français et allemand devrait être inversée vers 2040 (graphique 5).
Les contextes démographiques de la France et de l’Allemagne expliquent donc logiquement pourquoi les perspectives des dépenses sociales liées à l’âge sont plus inquiétantes en Allemagne qu’en France. Cela devrait conduire à un qualificatif dans les analyses relatives aux dettes publiques : au même niveau du ratio dette/PIB en 2012, la dette française est plus soutenable à long terme que la dette allemande.
Voir « The 2012 Ageing Report », Economie européenne 2/1012.
Cf. Nations Unies, Département des affaires économiques et sociales, Division de la population (2011). World Population Prospects : The 2010 Revision, édition CD-ROM.
Le solde migratoire serait légèrement plus élevé en Allemagne qu’en France, atteignant 130 000 par an autour de 2025-2030, alors qu’il resterait inférieur à 100 000 en France. Mais dans l’ensemble, la différence serait très faible : en 2060, le solde migratoire cumulé entre 2010 et 2060 augmenterait la population de 6,2 % en Allemagne et de 6 % en France (en pourcentage de la population en 2010)
Op. cit.
Voir le rapport sur l’évolution de la population active en 2011 de l’Insee : http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1415/ip1415.pdf
Op.cit.